Au pied du Sémaphore, chez Margot, les écrivant-e-s ont embarqué pour deux heures de croisière littéraire le mercredi 12 avril.
Un marin surprise, très expérimenté, nous a fait l’honneur de nous accompagner : Marc Roger, auteur et lecteur public.
L’atelier était en écho à son projet “A la limite” de randonnée littéraire sur l’ensemble du littoral français du nord au sud durant cette année. Chaque semaine il nous raconte son épopée avec radio Grand Ciel, voici le lien de sa dernière émission.
Après un échauffement sur les vagues graphiques de l’océan, chacun a partagé sa définition de la mer avec des mots d’une vague.
Ensuite entre secrets de la mer, titres de magazines et tout un tas d’objets flottants non identifiés, chacun-e a du ramer en solo pour revenir sur le bateau avec son texte pour un partage à l’équipage.
Voici le produit de notre pêche. Bravo à eux pour avoir fait confiance à leur capitaine du jour !
LES TEXTES GLANES DANS MES FILETS
Catherine Achouri-Lepleux
Les mots : crique, secoué, huitre, bleue, vacances, crabe
Ce n’est pas marrant d’être une huître par les temps qui court.
On peut vite s’habituer à vivre tranquillement dans sa crique et rester là secouée par les marées et rythmée par les va-et-vient de la Grande bleue. J’aurais pu m’en contenter comme ma mère avant moi.
Mais voilà que la rencontre d’un jeune crabe avec qui je n’avais rien de commun, bouleversa cette tranquillité acquise sur des générations. Comment ce crustacé avait pu trouver notre habitat jusqu’alors bien protégé ?
Il passait tout simplement ses vacances dans un coin perdu et de plus avait choisi de trouver l’aventure pour se faire secouer.
Les déclencheurs
Fiche bleue : Le mât penche sur la mémoire.
Le secret confié à la mer : Maillots de bain perdus
Titre journal : Changer de contrat d’assurance
Je venais de rencontrer mon assureur, il m’avait donné rendez-vous dans un café de bord de mer. Ne me demandez pas où, je ne m’en souviens plus.
Je ne lui avais pourtant rien demandé mais voilà, ça tombait plutôt bien car depuis quelques temps je me posais des questions assez récurrentes sur mon état mental.
Je n’y étais toutefois pour rien, je vivais jusqu’alors plutôt inconsciente, le nez au vent, les pieds en éventail et l’esprit toujours ailleurs. Il faut que je vous dise aussi, que j’habite non loin de la mer.
Pourquoi je vous dis tout ça déjà ?
Ah oui mon assureur, mon état mental.
Tout avait commencé par un message trouvé dans ma boîte aux lettres et qui disait en substance « le mât penche sur la mémoire ».
Elle était bien bonne celle-là !
Je n’avais pas de bateau, j’en avais jamais eu.
Et pour la mémoire ça c’était autre chose elle me lâchait.
Ce message je l’avais retourné dans tous les sens, je n’avais rien trouvé jusqu’à ce putain de rendez-vous avec le mec de l’assurance.
Je me demande même si après réflexion ce n’était pas lui l’auteur du message. Vous ne devinerez jamais ce qu’il me suggéra ?
Rapport à la mémoire et au mât qui penche, il me proposa donc de changer de contrat d’assurance afin d’être sûr de pouvoir rembourser mes maillots de bain perdus au fond de la mer. Comment il pouvait savoir ?
C’est dingue quand même cette manie que j’avais d’enlever mes maillots lorsque j’étais dans l’eau.
Maintenant je le savais mon assureur était un voyeur.
MARGOT QUETIER
Rencontre avec la mer, 6 mots d’une même vague de mots
Mouvement/partage/silence/vague/bleu/couleur
Retrouvailles
Quitter la ville pour retrouver la mer. A chaque fois le même mouvement. Laisser les ombres, les rues grises, les formes informes, les personnages unicolores pour retrouver la mer, haute en couleurs mais jamais vraiment bleue. Partager le silence avec personne, se laisser porter par le vent, par les vagues.
Déclencheurs :
Le mat se penche sur la mémoire
Naufragés de bateaux
Passés simples
Naufragé ! C’est trop bête ! Comment cela a-t-il pu m’arriver, à moi, l’ancien, l’expérimenté, celui à qui on demande conseil, le guide de tous ces marins en herbe…futurs marins perdus eux aussi… ?
Je ne l’ai pas vue venir cette tempête, et pourtant, j’en ai traversé des coups de vent ! Pas vu la tempête, ni la vague d’ailleurs :
Le bateau qui tangue
Le bateau qui penche
Le mat qui se penche…et puis plus rien…
Plus rien que la mémoire, les souvenirs. Bon on ne va pas se laisser polluer par les mauvais, il faut faire un tri, ne pas tout conserver car va quand même falloir vivre avec un bon bout de temps, seul sur cette île…alors autant garder les meilleurs.
Mais à quoi pensent donc les marins perdus ?
A la femme qu’ils laissent à terre ?
A la femme qu’ils recherchent toujours ?
Sont ils poursuivis par les regrets ou remplis de fiertés inavouées ?
Ont-ils envie d’avouer, de crier à leurs proches combien ils les aiment ou se nourrissent ils de rancœur et de haine ?
…le mat se penche sur la mémoire et fait remonter ce simple souvenir :
Ils étaient là Jeanne, Emile, Lucie. On marchait sur la plage après un repas bien arrosé, silencieux. Il faisait doux, les vagues remplissaient le silence. On était bien, ensemble et c’est tout.
…c’est décidé, c’est ce souvenir la que je garderai en mémoire.
CLAIRE PIZY
Regarde ! ça y est, on la voit ! La mer ! La mer !
Petit point à l’horizon, puis large bande infinie qui se rapproche au fil des virages franchis par notre voiture de vacanciers impatients, débordant d’épuisette, de seaux et de pelles en tous genres.
La mer, c’est une production infinie, elle aussi, de sensations, d’images et d’inspirations : cette crête blanchâtre sur les vagues agitées d’où peut surgir quelque sirène qui surprend, ce phare majestueux qui domine, qui surveille et qui rassure, cette respiration d’air iodé qui rafraichit et chatouille nos sens et nous invite au voyage.
J’aime la mer, elle me nourrit, me tonifie et m’apaise à la fois.
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Cette vague qui part et qui revient indéfiniment… Lorsque j’étais enfant, la mer me fascinait. J’observais ces vagues jour après jour, aux différents moments des marées. Le spectacle était nouveau à chaque instant, à chaque mouvement.
Marin-pêcheur pendant plus de 50 ans, mon grand-père m’affirmait que les sirènes existaient, confidentes de ces travailleurs de la mer, qui partaient en pleine nuit à l’assaut des rouleaux inépuisables, pour effectuer leur travail de forçats.
Les conditions étaient souvent inhumaines, le danger de tous les instants, les vents étaient violents, la mort planait souvent. Du bateau s’élevaient parfois prières et petits secrets venant de ces marins confrontés au danger imminent. Papy racontait que des sirènes, cachées sous la crête des vagues, venaient recueillir ces aveux, ces pensées sereines ou torturées, attirant les marins auxquels on avait pourtant appris et répété qu’il fallait fuir ces créatures. Au bord du gouffre, au bord de l’irrémédiable, la tentation du refuge dans ces grandes vagues noires et au creux des bras accueillants de ces princesses était toutefois très forte.
Ainsi, mon grand-père disait que la mer renfermait de nombreux secrets. C’est pourquoi je ne cessais d’observer les vagues aller et venir. Allaient-elles enfin, à force de patience livrer toutes ces confidences ? Me raconter toutes ces vies ? Me faire découvrir le chant des sirènes et les histoires amassées ?
Lorsque je regarde la mer aujourd’hui, si elle m’a beaucoup appris, elle m’a aussi trahi. Et papy aussi. Le secret qu’elle a brisé c’est qu’elle n’a pas grand-chose à raconter.
CATHY MONTOCCHIO
La vague de mots :
Suivre le chemin qui me mène à elle, sentir de loin son parfum iodé, entendre la musique entêtant des vagues qui m’appellent. Puis, à la lisière du bois, se laisser éblouir par son éclatante lumière et reprendre son souffle initial devant le spectacle de l’infini. Me laisser bercer par son mouvement perpétuel qui vient calmer ma tempête intérieure. Et, enfin, retrouver le silence et vivre un moment de partage absolu avec la mer.
La pioche de secrets de la mer :
Chaque matin, je l’observais du haut de la tour de mon sémaphore. Hypnotisée par la danse des vagues et le ballet incessant des marées. Invariablement la marée haute venait lécher le bas du mur de galets jusqu’à une certaine limite. Puis commencer sa décrue. La marée basse nous offrait ses improbables trésors : morceaux de cordes en nylon, des caisses en plastique balancées par-dessus bord par des marins peu scrupuleux, des morceaux de bois travaillés par l’eau et le sel, des crabes et bouquet à la bonne saison.
Puis, un jour, la laisse de mer fût plus généreuse qu’habituellement. M’approchant avec circonspection d’une forme cachée par un amas d’algues, je vois dépasser une queue de poisson verdâtre. De plus en plus, intriguée, je soulève avec mon bâton de marche, un paquet d’algues et là, stupéfaction. Un visage de femme très pâle apparaît, recouvert à moitié de sa chevelure aux reflets d’argent. C’était donc vrai, les sirènes existaient ! J’exultais ! Voilà de quoi épater les copines et faire le buzz dans les journaux. Avec un peu plus d’audace, je découvre totalement la chose. Avec une indicible déception, je comprends qu’il s’agit d’une boue gonflable en en forme de sirène abandonnée par un enfant éploré. Voilà une belle farce de la mer qui doit sourire secrètement de ma naïveté.
Martine COUTON
Rencontre avec la Mer
Partir en vacances… voir la mer. Pour les enfants et les grands toujours de l’émerveillement.
L’horizon, où en est la limite, celle seulement que l’on voit que l’on devine selon le temps sombre – clair.
La mer nous offre toutes ses richesses à ceux et celles qui savent la découvrir, l’observer. Elle sait ce que nous attendons d’elle : elle part, elle revient avec la même émotion de nous retrouver : seront-ils encore là à m’attendre ?… Cette liberté, elle a pu la conserver, pour nous quelle grande dame !
Elle nous permet de sentir et ressentir toutes ces merveilles qu’elle nous offre : les embruns, iode, les algues qui se languissent sur la plage.
Elle nous offre également la construction de châteaux de sable, nous voilà de vrais architectes en utilisant tout ce dont elle nous offre – coquillages, algues…
Je ne vous raconte pas d’histoires : il y a des jours, l’homme face à moi n’a plus de secret pour moi.
Je le respire à mon tour à pleins poumons :
Il m’observe, m’épie, scrute ma limite, mon horizon l’inquiète, qu’y a-t-il au-delà.
Je me sens sereine par mon immensité ; lui, face à moi, me paraît petit, impuissant. Je le connais bien. Moi, j’avance, recule, mais lui n’a rien compris, il se soumet à ma volonté. Obligé de se plier, il fait marche arrière, sursaute pour éviter mon écume.
Je m’amuse avec lui, c’est un jeu que j’apprécie, je le fais reculer de plus en plus loin jusqu’à ce qu’il abdique.
Eh oui, c’est moi la plus téméraire, la plus forte. Tu n’as plus de secret pour moi. C’est le jeu, j’avance, tu recules, n’est-ce pas ?
Corinne MAZUIR
Un texte entre deux propositions !
Fuir les sirènes
Et toutes leurs peines.
L’homme invisible,
Mais non moins sensible,
Brave la tempête,
Aime la tempête.
Marcher par mauvais temps,
Echapper aux habitants
Camouflés derrière leurs volets,
Naufragé égaré en terres,
Il n’aura pas de stèle.
Naufragé égaré errant,
Il aurait aimé partir en mer.
Interdit par sa mère,
Il restera sur terre
Rôdant de lande en lande,
L’homme invisible,
Seul son secret susurré aux oreilles des vagues
Partira en mer.
MARC ROGER
1er texte :
Je n’ai pas souvenir de l’âge exact auquel mon père m’emmena pour la première fois sur son bateau de pêche. Notre maison jouxtait la cale d’où chaque jour il s’en allait au large pour sa journée de pêche à la coquille Saint-Jacques avec ses camarades de campagne. Marin parmi les marins de Port-en-Bessin.
Ma mère tournait le dos au large. La mer lui faisait peur. Le lot de toutes nos mères. Cette peur qui coupe la respiration, la nuit, quand on devine la tempête à venir. Que l’on ne sait pas nager ou bien comme un fer à repasser disait Papi en se moquant de lui-même au repas du dimanche. Tant de maris-pêcheurs de Port-en-Bessin étaient disparus en mer qu’elles tremblaient pour leur homme chaque fois que le baromètre chutait ou que la mer s’annonçait mauvaise.
C’est Petit-Louis, je crois, qui m’entraîna à sa suite, un mercredi matin…
2ème texte :
C’était l’âge d’or du cinéma. Les studios d’Hollywood n’avaient pas choisi la côte californienne pour d’autre raison que la proximité du Pacifique immense et bleu au pied de ses collines. Les producteurs voulaient du souffle et du grand large dans les histoires qu’ils commandaient à leurs esclaves scénaristes.
— Eau à volonté ! gueulait le petit dernier d’entre eux en s’inspirant de de la Genèse qu’il n’avait jamais lue.
L’argent coulait à flots et il pensait avec raison qu’il n’y avait aucune limite à des effets spéciaux faramineux.
Entre la mer et l’océan, il n’hésita pas une seule seconde. Il tapa sur sa machine comme un démiurge. Je veux de l’océan et rien d’autre. Qu’ils se démerdent à trouver le pognon.
Il opta donc pour l’océan, plus grandiose, moins mesquin. L’aventure s’y déploie. Sur la mer, on cabote. Sur l’océan, on navigue, on traverse, on découvre, on se perd, on n’en revient que très rarement ou alors transformé des trésors oubliés de soi-même au tréfonds de son âme.
Fort de ce début tonitruant, il ralluma sa cigarette éteinte, se resservit une rasade de bourbon. Il décida des personnages, comme on décide d’une conscription à la veille d’une bataille. Vous, à droite ! Vous serez les Corsaires de la Reine ! Vous à gauche ! Vous serez les pirates du Roi ! Hommes, femmes, rang, qualité, âge. Il chercha un prénom et un nom pour chacune et chacun. Décida également du tonnage des navires, de leur nombre, de combien de sabords et de gueules de feu disposeraient chacun d’eux. Il se nomma lui-même capitaine. Monta à bord par la passerelle sous les vivats. S’imagina le soir de la première à l’entrée du Grand Rex, au bras de l’actrice principale à laquelle il avait fait manger des algues pendant six mois sur une île déserte. C’était bien le moins qu’il lui devait de l’inviter après le cocktail à une nuit de douceurs, de champagne et de caviar…